jeudi 17 décembre 2015

"Donner corps à l'être ensemble"

Correspondance entre Marie Claire Forté et Katya Montaignac
(en préparation de la séance : (nouvelles ?) formes d'être ensemble)


Jeudi 9 juillet 2015 10h51, Marie Claire Forté a écrit :
Comment comprends-tu l’évolution des formes de collaboration/être ensemble au cours des dernières années? (Je ne sais pas où situer le début de ma question) J’ai l’impression que la qualité de la documentation de la Judson les inscrit comme modèle dans notre imaginaire, mais je suis certaine que ça part d’avant…

Judson Church Dance Theater : Douglas Dunn,
Steve Paxton, David Gordon, Becky Arnold,
Yvonne Rainer et Barbara Lloyd Dilley

On 2015-07-20, at 09:17, Katya M wrote: Du temps de la Judson, la notion de collectif était abordée dans une dimension politique : il s'agissait notamment de travailler la création en dehors de la figure (autoritaire et pa/maternaliste) de l'Auteur et du Maître (propre à la danse moderne). Ça allait avec l'idéologie de l'époque, contestataire, hippie, etc. Il s'agissait d'explorer des modes de création plus égalitaires et d’éviter la figure du démiurge. [Cf. l'article de Rosita Boisseau dans Le Monde sur le collectif contestataire de la Judson Church]

Des explorations du même cru ont été tentées avec les avant-gardes du début du XXe siècle. Ne serait-ce qu’à travers l’expérience de Monte Verita : tous les arts fusionnent alors sans hiérarchie dans cette espèce de coopérative intellectuelle et artistique qui plaçait le corps (et l'être ensemble) au centre de la création (et de la vie quotidienne).

L'expérience du Monte Verità au début du XXe siècle a réuni des artistes,
écrivains, intellectuels
, dont Hermann Hesse, Isadora Duncan,
Rudolf Laban, Mary Wigman ou encore Carl Gustav Jung
,
afin d'expérimenter de nouveaux modes de vie (régime végétarien,
toges et tuniques à l’ancienne, naturisme,  collectivité). | Source photo
Ces expériences renvoient à des formes ancestrales, à la fois traditionnelles, sociales, tribales... Aussi, j'aurais tendance à imaginer que la danse s'inscrit dans son essence dans un être ensemble. ["On danse le plus souvent pour être ensemble" écrit Georges Didi-Huberman, nous rappelle Nayla Nafoual dans son article : "Danses à partager", in Jeu # 157, Dossier "Vivre ensemble"] Ne serait-ce qu'à travers
sa nature intrinsèquement collaboratrice (et donc collective) – un chorégraphe est rarement seul pour créer. Mais également à travers la nécessité d'une coprésence (du spectateur) pour exister.

Au cours des dernières années, on assiste – dit-on souvent – à un « regain » de formes collaboratives. Il me semble que se combinent dans ce geste à la fois un épuisement de la danse d'auteur et l'actualisation de (nouveaux ?) modes de partage typiques de notre époque (peer-to-peer, réseaux, flux rrs et autres...) [On demande désormais à nos amis et familles de s’abonner à notre blog ou tumblr pour recevoir de nos nouvelles…]


Le Lundi 20 juillet 2015 18h38, Marie Claire Forté a écrit :
J'ai aussi tendance à croire que la danse s’inscrit dans son essence dans un être ensemble. Des efforts très réussis à la rendre et à la produire dans un modèle hiérarchique, documenté assidûment par des personnes vouées au récit historique singulier et autoritaire, ont brouillé la donne. Je tiens à le dire parce que j’ai rencontré autre chose que l’Auteur et le Maître tout au long de mon parcours, même à ma petite école de ballet à Gatineau, dans un quartier industriel, en haut d’un garage. J’ai bien sûr aussi beaucoup d’expérience avec l’Auteur et le Maître. En un sens, la direction autoritaire est plus simple comme sujet de discussion. L’horizontalité demande plus de mots, plus de noms, plus d’écoute. Le « regain » des formes plus collaboratives dont tu parles opérerait donc non seulement en studio.

On 2015-07-22, at 19:14, Katya M wrote: Peux-tu me parler de l’expérience d'être ensemble dans What we are saying ? Il s’agit d’une expérience assez fascinante (autant qu'éprouvante) à vivre pour le spectateur, qui, même s'il ne prenait pas la parole, se retrouvait à éprouver physiquement une contrainte rigoureusement corporelle. Cet exercice énonciatif induit l'écoute et donc la conscience. Et toi, de l'intérieur, comment l'as-tu vécue ?


[Le travail de Public Recordings questionne directement l'être ensemble en l'éprouvant à travers différents dispositifs depuis The Most Together We've Ever Been créé en 2009 : avec la recherche d'un unisson improvisé dans Relay en 2011, d'une parole à la fois commune et spontanée à travers une conversation chorale dans what we are saying en 2013 et enfin à travers l'expérience d'une longue improvisation dans voyager en 2015 partageant pour unique contrainte l'impossibilité de revenir en arrière ou de répéter un motif]

Le Vendredi 14 août 2015 17h31, Marie Claire Forté a écrit :
[...] Peut-être est-ce la particularité de l’être ensemble dans voyager et dans what we are sayingla survie de la pièce en dépend, et tout le monde le sait. Si quelqu’un arrête dans voyager, on coule, si l’écoute et la présence des performeurs n’est pas absolue dans what we are saying, la partition est tellement décentrée que le travail s’effrite. Et je pense que le spectateur mal intentionné et habile pourrait provoquer l’échec dans ces deux pièces. Si le performeur n’est pas le centre de l’expérience, de la connaissance, si le travail est véritablement éthique, elle exige quelque chose de tout le monde.


On 28 oct. 2015, at 12:32, Katya M wrote: 
[...] J'adhère à l'idée de Rancière sur son « Spectateur émancipé » pour dire que le spectateur est « actif » même assis sur son banc à observer le spectacle. Le spectateur n'est pas « passif ». Il agit, il performe, il s'approprie l’œuvre, il l'incorpore même littéralement (à travers sa perception).

Le Jeudi 26 novembre 2015 18h22, Marie Claire Forté a écrit :
[...] J’ai lu avec intérêt le petit billet de lundi dernier. C’est super, nommer des choses. Je continuerai l’échange ci-dessous post-lundi, parce que la discussion me semble déjà comme un point de chute intéressant. Un site pour donner corps à l’être ensemble dont on discute!

Lire aussi : L'être ensemble comme propos artistique : réflexions de Coralie Muroni suite à l'atelier "(nouvelles ?) formes d'être ensemble"
 

Suggestion de lecture :
Un nouveau numéro de la revue JEU vient de sortir sous la thématique du "Vivre ensemble"

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