lundi 3 avril 2017

Des yeux qui transpercent l’espace | par Marie Mougeolle

Snakeskins (2012) de Benoît Lachambre © Christine Rose DiVito
Je vois des yeux qui transpercent l’espace, et des mains qui deviennent géantes.

Une peau si poreuse qu’elle m’englobe.

Je suis au premier rang, mais quand même. Il ondule. Suspendu par le cou à l’horizontale. Je vois ce harnais en cuir, cage thoracique externe. Je vois ces longs cheveux en queue de cheval émaciée. Je vois une onde de choc, tangible, concrète. Une danse de l’espace, reprise juste après par les cordes sur lesquelles il avance. Il avance à genoux, à pieds, il fait danser les cordes.

J’ai l’impression que ce corps-là ouvre mes propres cellules. Qu’il fait de la place, qu’il creuse, que ça souffle à l’intérieur. J’ai l’impression que le moindre de ses mouvements m’embarque dans une danse que je n’ai pas choisie. Et que je ne connais pas, mais que mon corps reconnait.

Je suis embarquée, là. Je suis sur son bateau, parti à la conquête de je ne sais quel territoire. Loin en dedans, très loin en dedans. J’ai les yeux qui s’écarquillent. Ces mains. Ces yeux. La manière dont tout circule. La manière dont il me fait sentir que son corps n’est pas le mien tout en me ramenant dans mon propre corps. La manière dont il discute, dont il me parle, dont il me fait sentir que je suis là. C’est direct, ça fuse, ça saisit.

Des yeux qui transpercent l’espace.

Je me souviens m’être déplacée à la fin. J’ai monté les escaliers des gradins de l’Usine C pour rejoindre le dernier rang une fois la salle allumée. J’avais besoin de sentir le vide, le vertige, la hauteur. Et rester là à gouter cette fin qui n’en finit pas, pour ne pas qu’elle finisse. Benoît danse encore Snakeskins, dans sa marée de saluts; montante, descendante, interminable. J’ai mis quarante minutes à quitter la salle. D’autres restaient encore. Je me sentais frêle et pleine, j’avais les poumons ouverts. J’avais l’impression d’avoir passé la journée au grand vent : revigorée et épuisée à la fois.

J’avais touché quelque chose.
Marie Mougeolle 

Benoît Lachambre a reçu le Grand prix de la danse
de Montréal 2013 pour Snakeskins

Crédit photo: Marlène Desaize
Marie Mougeolle s'installe à Montréal en 2010 et poursuit une maîtrise en danse à l'UQAM sur les dynamiques de création interdisciplinaires, obtenue en 2014. En tant qu'interprète, elle collabore aux projets de Katya Montaignac, Sophie Corriveau, Les Soeurs Schmutt, Sarah Dell’Ava, Eduardo Ruiz Vergara, Andrée Martin ou encore Helen Simard. Son solo Entre autres a été présenté en France et au Vietnam. Le duo créateur qu'elle forme avec Liane Thériault crée Mine de rien au offta 2015, et se donne forme sous le nom de Mine de rien : un collectif en 2016. Elle poursuit ses activités de recherche en danse par la documentation de processus de création et l’écriture d’articles. Elle intervient notamment auprès de La 2e Porte à Gauche, dans la revue Jeu ou lors de colloques. Elle agit également en tant que professeur de ballet à l’École Supérieure de Ballet du Québec.

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